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Guitar Sunrise
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29 octobre 2012

Australie – Songes d’une nuit de printemps

Un vent frais souffle sur Byron Bay ce soir-là. Les passants se pressent de bar en bar au lieu de trainer dans les rues comme à l’accoutumée. Mes mains froides reposent avec hésitation sur les cordes rouillées de ma guitare. Mes songes voyagent dans le temps jusqu’à 20 minutes plus tôt alors que je marchais dans la rue comme n’importe quel passant. Errance de fin de soirée dans une ville méconnue en quête d’une animation-surprise. En d’autres termes, occupation anodine de tout globe-trotter… Les concerts de bar se terminent et les musiciens de rue se font moins nombreux. Mes amis sont déjà partis se coucher et l’idée de les rejoindre est vraiment tentante. Mais ce soir j’ai envie de changer un peu, de tenter des trucs inhabituels, d’oser. Il y a trop longtemps que je n’ai rien osé de culotté et il est temps de me rappeler pourquoi je fais ce voyage. Ce qui m’amène donc à ce banc où je suis assis. Mon chapeau est posé par terre à mes pieds. Saut arrière vers le jour où la providence a placé sur ma route ce chapeau moche et sans forme à Bornéo. Il désormais devenu mon chapeau porte-chance et ne me quitte plus. J’y ai placé 4$ en faisant croire que quelqu’un d’autre les y a mis. Saut arrière jusqu’à la veille. Assis sur ce même banc entouré d’amis je joue de ma petite guitare pour passer le temps lorsqu’un mec un peu éméché débarque et me demande si je sais jouer du Green Day… Evidemment j’ai passé tout mon lycée à en jouer alors je lance un gros classique pour lui faire plaisir : Basket case. Il se met à danser et brailler comme tout bon mec bourré aurait fait. Puis soudain il dégaine un billet de 10$ et le flanque sur mon genou avant même la fin du morceau.

Moi : « Nan, c’est bon je fais pas ça pour ça ! »

Lui : « Ben si ! Tu joues dans la rue c’est normal d’être payé ! Joue plutôt un autre morceau ! »

Encouragé par ses amis et les miens on enchaine avec d’autres grands classiques de Green Day puis NOFX, puis un couple demande du Bob Marley, un autre veut du Manu Chao. Tout le monde chante comme porté par une vague. Au bout du compte je me retrouve avec exactement 34,8$ sur les genoux ce soir-là et tout ça juste en braillant des chansons connues entre amis. Ca fait réfléchir…

Je suis donc de retour sur ce même banc, mais seul. Aucune vague pour me porter, personne pour me dire quoi jouer. Je souffre du pire mal d’un musicien : ne pas savoir quoi jouer… Et du trac aussi pour être honnête. Ce qui est stupide puisqu’il n’y a pas vraiment d’audience. Ok on se détend, je sais forcément quoi jouer puisque je passe ma vie à jouer dans mon coin comme un autiste. Le vrai problème c’est plutôt que j’ai honte de jouer mes trucs d’autiste. Bon tant pis je compte jusqu’à trois et j’y vais… 3 ; 2 ; 1 et bim Fausse note ! Je ne sais même pas comment une note toute seule peut être aussi fausse. Saut en arrière jusqu’au mois de Janvier. Je rencontre Jerry Kamit le génie du Sape de Bornéo, je l’enregistre alors qu’il joue le tube Orang Ulu « Datung Julut » et j’en tremble tellement je trouve ça beau. C’est ce morceau que je décide de jouer sur mon banc ce soir là. Saut arrière vers quelques années plus tôt aux folies Bergères de Paris, John Butler joue « losing you » morceau qui ne quittera plus mes esprits par la suite. Ce morceau se mélange à celui de Jerry Kamit dans ma tête. Ils sont tous les deux sur la gamme de Mi majeur. Une gamme facile, je ne la connais que trop, je ne peux pas me tromper. Pourtant je suis nerveux j’ai froid, je ne joue pas assez fort j’ai les doigts engourdies. Saut arrière d’un mois et demi vers cette ferme organique au nord de l’Australie où j’ai travaillé en échange d’un hébergement et de repas gratuits. Je revois ma polaire qui doit encore être étendue sur ce fil où je l’ai oubliée. Saut vers quelques semaines plus tard sur la Sunshine coast où ce mec m’offre son vieux sweat-shirt en laine détendu avec du jour entre chaque maille, celui que je porte ce soir là sur mon banc et qui laisse passer ce vent qui me glace les côtes. Je dois vraiment avoir l’air crispé alors je lève la tête, je regarde les gens qui passent, je me demande quelle tête il faut faire pour avoir l’air naturel, je tente un regard de côté l’air poétique... Et bim, je me trompe d’accord. 4 fausses notes d’un coup juste au moment où des gens passent. Shit ! Ok, je redouble de concentration. Enfin j’essai… A la place je redouble ma nervosité. Au lieu d’avoir froid j’ai maintenant trop chaud. Mon cœur bat fort, mes aisselles commencent à transpirer et mes doigts deviennent tellement moites que j’ai l’impression que mes cordes rouillent 1000 fois plus vite que d’habitude. Je n’écoute même pas ce que je joue. Ok, ça va pas du tout ! Bon,  je baisse la tête et ferme les yeux. Je sais jouer ce morceau bordel ! Et je sais que je le sais. Saut arrière vers cette île Indonésienne où j’ai passé des nuits à improviser sur ce morceau. J’y ajoute mes chichis, un peu de gamme pentatonique, des plans à la Hendrix, ces sons empruntés à des guitaristes Irlandais, ces arpèges que j’ai appris lorsque j’étais encore en primaire. Tant pis pour les passants, je joue comme si j’étais seul. Parfois j’entrouvre les yeux, je vois des jambes qui s’agitent sur le bitume. Certaines s’arrêtent parfois brièvement puis repartent. J’entends quelques pièces tomber sur mon chapeau whoo ! Je lève la tête pour dire merci à cette maman et son enfant. Tiens ? Qu’est ce qu’un enfant fait là à cette heure-ci ? Ils sortent sûrement du restaurant… Est-ce qu’on m’entend dans le restaurant ? Est-ce que je joue assez fort ? Hmm en tout cas je vais un peu vite je devrais ralentir… Oui mais ça va s’entendre... Oui mais t’façon personne ne m’écoute… Et le moteur de cogitation s’enflamme à nouveau. Alors je refais abstraction des passants et redeviens autiste. Je finis par me calmer, je reprends le contrôle, je joue comme à la maison. J’improvise sur une grille d’accords connue, je tempère ma prise de risque, je ne m’éloigne pas trop des sentiers battus… Mais un peu quand même pour que ce ne soit pas trop ennuyeux. Une fois calme et serein je me permets de prendre du recul sans soucis, je suis plus alerte sur ce qu’il se passe autour. La rue est toujours paisible. Le trottoir est toujours aussi immobile, le vent envoie tranquillement ses petites bourrasques habituelles. Je fais partie du décor…. En fait, il n’y a aucune raison de paniquer, l’agitation n’existe que dans ma tête. Je ne sais pas depuis combien de temps je joue mais il est peut-être temps de terminer le morceau en douceur… Voilà, tout va bien. Rien d’anormal dans la rue. Une copine Italienne est arrivée entre temps et m’applaudit en guise de brise-glace pour dire bonjour. Ok, toujours rien d’anormal… Puis il y a cette fille qui vend des bracelets quelques mètres plus loin dans la rue. Elle se lève et vient déposer quelques pièces dans mon chapeau porte-bonheur en souriant. Elle a été témoin de toute la scène… Elle est Française et me pose plein de questions. Tu viens d’où ? C’est quoi ce morceau que tu viens de jouer ? Tu joues quoi comme style de musique ?…

Attend une minute, d’habitude c’est moi qui pose toutes ces questions. C’est moi qui fais le projet guitar-sunrise et qui interviewe des guitaristes… Comment en suis-je arrivé là ? Après 10 secondes de cogitation la vérité éclate et fige le temps et l’espace. Cette fille continue de me parler mais je ne l’écoute plus, je me contente de lui offrir un sourire de façade niait. Je viens de comprendre la clef de l’intrigue du film de ma propre vie. La réponse à pourquoi je suis là, pourquoi ce projet, pourquoi tout ce chemin. La réponse est d’une simplicité outrageuse : je suis parti offrir à d’autres l’attention que j’aurais toujours voulu que l’on m’offre. C’est aussi bête que ça. Imaginez un mec qui débarque du bout du monde pour vous dire qu’il vous trouve génial alors que vous jouez vos propres chichis d’autiste. Le rêve ! Et j’en rêvais secrètement sans même me l’avouer. Je viens de franchir la simple petite barrière qui m'en séparait : affronter le regard des autres. Personne ne vous encourage à nager avant que vous ne sautiez dans l’eau...

La vendeuse de bracelet s’en va, ma copine Italienne s’installe à côté de moi et me raconte sa journée. Je fais semblant de l’écouter. En réalité je suis focalisé sur ces pièces de monnaie que je viens de gagner. Une pièce de 50 et deux pièces de 20 centimes. Les pièces les plus banales du monde et en même temps les plus belles que j’ai jamais vues. J’ai envie de les accrocher à mon coup en pendentif comme le sous-fétiche de Picsou. A la place je les mets dans une poche à part de mon logo6 copie (1280x960)porte-monnaie. Je ne suis pas superstitieux mais j’aime bien donner de l’importance à quelques objets de temps en temps pour me rappeler certaines leçons…

Le lendemain je quitte Byron Bay à l’aube. Je marche sur cette route vers le sud, direction Sydney. C'est une belle matinée de printemps avec des odeurs d’herbe fraichement coupée, de l’humidité, du pollen dans l’air qui annonce l’été et ce vent frais qui murmure à mon oreille que tout est possible. Le soleil vient de se lever. Il est encore très bas au dessus de la mer et baigne le paysage d’une lumière orange. Mon ombre est infiniment longue et pointe vers l’ouest comme un doigt moqueur. Le projet guitar sunrise ne m’amène plus vers le soleil levant, j’ai changé de direction. J’imagine les montagnes de Papouasie derrière moi qui me regardent m’éloigner de haut. Derrière elles l’Asie pose sa question préférée : « Where you go ? ». Un peu plus loin derrière l’Europe essaie de regarder par-dessus son épaule mais a du mal à comprendre ce qu’il se passe… Je savoure ce doux paradoxe entre l’envie de retourner vers les endroits et les gens que j’aime et celle de continuer ma route. Je me promets de gagner d’autres dollars comme ceux que j’ai gagnés la veille :PA260287 en faisant ce que j’aime.

Il y a longtemps que je me demande comment terminer ce voyage en beauté. Ce matin-là je réalise enfin ce que je suis en train de vivre. Ce n’est pas la fin d’un long voyage, c’est le début d’un autre encore plus long.

C’est pourtant ainsi que se termine le projet Guitar Sunrise. Du moins, sous forme de blog. Peu à peu ce projet est devenu ma vie et ma vie est devenue ce projet. Je vais donc continuer de la vivre mais simplement arrêter de la raconter…

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Commentaires
K
This is the end my friend ? Un grand merci pour tous ces moments de partage, ca n'a pas arrété ! ;-))) Bon ben y'a plus qu'a rebondir sur autre chose maintenant. Tiens au fait la page sosies n'a pas beaucoup évolué durant tes péripéties...Etonnant non ? comme disait l'autre.<br /> <br /> J'attends de tes nouvelles avec impatience et de savoir vers quel chemin tu nous emmènera cette fois-ci !<br /> <br /> A bientôt mon lapin. Tcho
N
merci pour cette année de partage de ton aventure que j'ai suivi assidument!! un peu décu que cela se termine ( du moins sur le blog!) <br /> <br /> merci pour nous avoir fait voyager, et de nous donner une autre vision du " voyage"<br /> <br /> je te souhaite plein de bonne choses pour la suite<br /> <br /> <br /> <br /> et tu sais y'a dautre continent si tu t'ennuie ! moi je serai toujours addict a ton blog!!<br /> <br /> <br /> <br /> biz<br /> <br /> <br /> <br /> nanou
M
merci pour avoir partagé avec nous ! je t'ai piqué beaucoup de miettes de voyage, attentive à ton cheminement... et j'ai découvert que je pouvais apprécier la guitare, juste le son de la guitare ! même sans parole... et j'espère encore en avoir quelques bribes ensuite sous d'autres formes... tu repasseras bien par la France à un moment ? bonne route
M
Tu gères grave Yohann!<br /> <br /> Tu écris tellement bien que c'est dommage de s'arrêter maintenant!<br /> <br /> Mais t'inquiète pas, c'est vrai que tu joues bien de la musique aussi...<br /> <br /> <br /> <br /> En tous cas, merci d'avoir fait ce blog, tu nous as fait découvrir des pays magnifiques, des gens sympas, et des mélodies supers!<br /> <br /> Bisous et bon voyage!
T
Let the game begin!<br /> <br /> Enfin devenu poète il range sa plume...<br /> <br /> Moi j'y crois pas, je veux pas y croire.<br /> <br /> Bonne route et à bientôt sur ce blog ou ailleurs.
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